CONTRIBUTION
Quelle est la frontière entre le lobbying et la rétro-commission ? Qu’est-ce qui différencie la rétro-commission de la commission ? Et si Gadio était victime du complexe de suprématie américaine indiscutable dans le domaine des affaires ? Y a-t-il moralement quelque chose à reprocher à la démarche de Gadio s’il a un cabinet qui fait dans le lobbying, comme il en compte des milliers dans le monde ? Dans quelle mesure, la facilitation que Gadio a opérée au profit d’une entreprise chinoise, est-elle préjudiciable à la concurrence et à la compétitivité des entreprises américaines ? Ces questions banales qui devraient tarauder l’esprit de nos compatriotes, ont laissé la place à des sentences condamnant définitivement un compatriote dont l’engagement pour le Sénégal et pour l’Afrique est exemplaire et presque passionnel. La presse a apparemment confondu inculpation et culpabilité, faisant fi du principe sacro-saint de la présomption d’innocence. Les titres à la «Une» de la presse écrite et de celle en ligne sont non seulement catégoriques, mais parfois trop avilissants au regard de l’état actuel de la procédure. Ce qui est étrange, c’est que cette même presse avait traité l’affaire Lamine Diack avec plus de clémence et de circonspection alors qu’elle est plus manifeste et plus grave que celle de Gadio.
En plus d’être très indulgente envers Lamine Diack, cette presse sentencieuse (une certaine presse) avait, dans un élan soi-disant patriotique, explicitement lancé un mot d’ordre de solidarité de tous les Sénégalais autour de Diack. Pourquoi ce traitement de faveur ? Y a-t-il des Sénégalais dont la culpabilité est plus normale que celle des autres ? Quelle est la légitimité de la justice américaine à poursuivre Gadio dans cette affaire ? Il faudrait d’abord édifier les Sénégalais sur ce dogme au lieu de s’empresser de condamner un simple prévenu. N’est-il pas prématuré de parler de corruption dans cette affaire ? Le bon sens aurait voulu qu’on postule la bonne foi du mis en cause dans cette affaire, car rien ne prouve que, dans sa conscience, il ait quelque chose à se reprocher. Autre culture, autres mœurs dit-on, et on peut également estimer, au regard de sa trajectoire, que Gadio soit davantage victime de sa crédulité que d’une quelconque cupidité financière. Pourquoi cette presse n’irait-elle pas fouiller dans les actions d’une banque étrangère qui a fait preuve de grande libéralité envers une structure dirigée par une certaine Première Dame ? Comment expliquer le mutisme de cette même presse sur les marchés de gré-à-gré à propos des grands chantiers de l’Etat ?
C’est évident que le parti-pris de la presse pour Diack n’était pas dicté par une simple question de patriotisme. Tout cela illustre l’extrême perversion qui guette le monde de la presse et les procédés non déontologiques qui y ont parfois cours, du moins dans une de ses composantes. Tout porte à croire qu’on est passé d’une presse comme instrument de la démocratie à une presse de clan : c’est-à-dire une presse dont la fonction est de protéger les amis et de lyncher les adversaires du prince.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack seck de Thiès
SG du Mouvement ciotyen LABEL-Sénégal