Considéré comme un des plus grands portraitistes de la seconde moitié du XXe siècle, le photographe malien Seydou Keïta est le premier artiste africain exposé seul au Grand Palais.
Une rétrospective inaugurée par François Hollande rend hommage à cet autodidacte inspiré.
Tissus Entre 1948 et 1962, Keïta photographie des milliers de ses compatriotes dans la cour de sa maison à Bamako.
Il innove en réalisant ses clichés devant des fonds en tissu imprimé, le plus souvent en wax, une technique ancienne à la cire. “Le premier fond, c’est son dessus de lit”, raconte Yves Aupetitallot, commissaire de l’exposition (jusqu’au 11 juillet), “mais il se souvient à peu près de la succession des différents tissus”, ce qui permet de reconstituer l’ordre chronologique des photos, où ne figurent ni la date, ni le nom des modèles.
S’il a influencé un peu Malick Sidibé, l’autre grand photographe malien, “il n’y a pas eu vraiment de transmission, son travail a été peu montré en Afrique faute de structures”, souligne le commissaire.
Tirages Seydou Keïta, décédé en 2001, travaillait essentiellement à la chambre 13 x 18, uniquement en noir et blanc. 300 tirages sont présentés, dont pour la première fois ses tirages d’époque, des planches contacts aux mêmes dimensions en raison du coût du papier.
Beaucoup ont été retrouvés chez l’encadreur qui se chargeait parfois de coloriser certains détails, surtout les bijoux. Les tirages modernes, souvent de grande dimension, ont été réalisés plus tard par Keïta lui même, qui n’a jamais étudié la photo et n’a fait que des portraits.
Lorsqu’il a arrêté son activité pour devenir photographe du gouvernement, “il a conservé ses négatifs dan une malle en acier sous son lit”, raconte Yves Aupetitallot.
Quant à son travail de photographe officiel, il n’a jamais été retrouvé, pas plus que celui de photographe de l’identité judiciaire, fonction qu’il occupa également.
Modernité Keïta fournit à ses clients des accessoires allant de la montre à la voiture – une Peugeot 203 – en passant par la radio, le Solex ou la Vespa. Ces signes de modernité et d’ouverture sur le monde voisinent le plus souvent avec coiffures et tenues traditionnelles pour les femmes et amulettes animistes pour les enfants.
“Les photos sont magnifiques, souligne le commissaire de l’exposition, mais en même temps, elles disent quelque chose du Mali de l’époque”, encore colonie française et qui n’obtiendra son indépendance qu’en 1960.
Signes Les coiffures des femmes sont très codifiées entre les “porte-manteaux”, le foulard “à la De Gaulle” (noué bas sur le côté gauche) ou “à la Versailles” (très symétrique).
Beaucoup portent des bijoux en cornaline, d’autres des Louis d’or attachés au fichu, détail indiquant qu’elles sont Sénégalaises. Chez les hommes, le feutre européen est volontiers porté en arrière, à la “Lemmy Caution”, détective privé interprété par Eddie Constantine dans des séries B dont le succès était considérable en Afrique de l’ouest.
Ancêtres des “sapeurs”, les “zazous” rivalisent d’élégance et arborent la pochette marquant leur appartenance au club “Fleur de Paris” (titre d’une chanson de Charles Trenet).
Pose Comme le montre un documentaire présenté dans l’exposition, Seydou Keïta accordait le plus grand soin à la pose de ses modèles, rectifiant chaque pli de la robe, déplaçant la main ou le bras de quelques centimètres, inclinant la tête d’une jeune femme ou la faisant pivoter légèrement.
Il n’hésite pas à employer des cadrages inclinés, asymétriques. Il fait poser certaines modèles étendues sur un tapis de prière telles des “odalisques”, une autre le visage reposant sur le dossier d’une chaise ou se retournant vers l’objectif – comme “La Jeune fille à la perle” de Vermeer.
Il joue aussi de la superposition des imprimés entre tapis, robe et fond, au point dans certains clichés de quasiment “dissoudre” le sujet. “Il y a là quelque chose qui relève de la peinture”, commente Yves Aupetitallot.
Antoine FROIDEFOND