Mouhamadou Diack, comédien Diamanoy Tey, Daaray Kocc
«Le théâtre d’aujourd’hui est de l’emballage perdu»
«Il y a une grande différence entre le théâtre d’hier et celui d’aujourd’hui.
Car nous, lorsqu’on faisait du théâtre, c’était par conviction et par amour. Parce qu’on y croyait et surtout nous ne voyons que cette phase d’éducation, de formation et de sensibilisation du théâtre. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Car maintenant, le théâtre est de l’emballage perdu. On n’y montre rien du tout. Ils le font à leur façon tant sur le plan corporel que de l’interprétation. Les gosses le font à leur guise. Ce n’est pas facile d’écrire un scénario. Il faut qu’ils se rapprochent des anciens, car on a des valeurs qu’il ne faut pas omettre. Notre théâtre est en déphasage avec notre société. Il a participé à la perte des valeurs. Le théâtre d’hier pouvait être regardé par toutes les couches de la société : religieux, autorités civiles, parents, enfants… Aujourd’hui, tu en as assez après quelques minutes et parfois tu as honte de le regarder avec tes enfants.»
Ibrahima Mbaye, comédien et metteur en scène à Sorano
«Nous devons repenser le théâtre, c’est un impératif»
«Hier, quand il y avait le Sorano que nous connaissons tous avec, derrière un poète-président, il y avait parallèlement un groupe que l’on appelait Daaray Kocc avec à la tête un Cheikh Tidiane Diop, un imminent créateur. Pendant cette période, ces gens là, malgré qu’il y ait une euphorie extraordinaire du théâtre au niveau national comme international, arrivaient à exister à côté. C’est parce qu’ils avaient de la pratique, de l’ambition et quelqu’un qui comprenait le théâtre, Cheikh Tidiane Diop à qui, je rends hommage. Ils ont vécu ensemble et personne n’a damé le poing à l’autre. Aujourd’hui, nous nous devons de retourner à cette base, repenser le théâtre sénégalais. S’il faut même organiser les assises nationales du théâtre pour camper certaines choses, il faut qu’on le fasse, c’est un impératif. Il y a une déferlante, il faut qu’on maîtrise cette énergie de manière saine.»
-Mohamadou Fall, comédien alias «Tonton Libasse»
«S’unir et discuter des vrais problématiques du métier»
«Avant, il avait du bon théâtre, celui qui éduque, sensibilise et communique avec le peuple. Parce que nous avions de bons comédiens à l’époque. Et c’est dans cette dynamique que les jeunes d’aujourd’hui doivent s’inscrire. Tous les acteurs du théâtre doivent s’unir pour discuter des vrais problématiques du théâtre. Car avec la pluralité des télévisions dont la plupart n’ont pas de programme, elles prennent tout ce qu’on leur propose. On y voit des productions de bonnes qualités, mais à côté, de mauvaises aussi, comme il y en a chez les comédiens. C’est à cause de la concurrence.»
-Yacine Félane Diouf, Comédienne à Sorano
«Il nous faut de bons metteurs en scène comme autrefois»
«C’est un théâtre différent si l’on se réfère à hier. Hier, les comédiens étaient disponibles pour travailler. Il y avait beaucoup d’argent pour les comédiens, les décors et costumes. Aujourd’hui, le traitement diffère. C’est cela qui est malheureux. Vu les promesses faites, nous pensons qu’il aura des changements. Avant, le théâtre bénéficiait de bons récits, joués par de bons comédiens. Il nous faut aujourd’hui de bon metteur en scène et des moyens. Les pièces historiques ne doivent pas être laissées en rade, parce que nous devons transmettre l’histoire du Sénégal à chaque génération. Le choix de la pièce est important avant de le mettre sur scène. Il faut tenir compte d’une bonne écriture dramatique. Si l’on a des qualités intellectuelles avérées, cela se reflète dans les choix. Si le niveau fait défaut, cela pose problème.»
-Lamine Ndiaye, comédien
«Le théâtre est au rabais»
«Ce sont deux époques différentes. Le théâtre d’hier et celui d’aujourd’hui ne sont pas pareils. Les jeunes comédiens sont trop pressés. ‘Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage’, dixit La Fontaine. C’est dommage. Hiérarchiquement, ils ne respectent pas les anciens. Pour eux, ces derniers sont dépassés, le théâtre qu’ils font, n’est plus celui d’aujourd’hui. Le théâtre n’a jamais changé. Il a besoin de ses hommes, pas seulement une catégorie. Le théâtre n’est pas destiné simplement aux jeunes, c’est un ensemble, une famille. Il faut que les jeunes s’approchent des anciens sinon, c’est une catastrophe. Aujourd’hui, quand on analyse la situation du théâtre, on voit qu’on est au rabais. Là où je passe, les gens me le font comprendre. Mais à moi tout seul, qu’est-ce que je peux faire. Les textes sont complètement en déphasage avec notre société parce qu’ils sont pressés. Ils ne consultent pas et n’analysent pas. On n’échange pas. J’aime bien l’adage wolof qui dit ‘Mag meut na bayi si rew’ (une personne âgée est utile dans un pays). Parce qu’on a toujours besoin d’hier et d’aujourd’hui pour tracer des lendemains meilleurs.»
-Louis Camara, auteur
«Il y a une mort du théâtre vivant… »
«Pour avoir vécu l’évolution du théâtre au Sénégal, je constate que le théâtre vivant, celui des planches a été surplanté par le théâtre filmé. C’est comme s’il avait progressivement la mort de ce théâtre de spectacle vivant, de communication qui est le vrai théâtre au profit d’un théâtre image. Cela c’est fait ressentir à tous les niveaux de la qualité, même s’il faut reconnaitre qu’il y a toujours du bon théâtre, car il y a des troupes extraordinaires. Il y a aussi le problème du choix et de la qualité des textes. Il faut s’attarder sur le choix des textes et les varier aussi. Car l’on constate que ce sont les mêmes textes qui sont reconduits d’année en année. Et on a l’impression que c’est statique, il faut introduire de nouvelles pièces. Il faut que les comédiens osent, qu’ils aient des moyens et que le public soit éduqué à la culture du théâtre.»
Propos recueillis par Fatou K. SENE