«Les monarchies meurent du favoritisme. Les démocraties ont le leur. Il se nomme démagogie. Et elles en meurent aussi.» (Jacques de Lacretelle)
Il est vrai que dans toutes les sociétés démocratiques, la liberté d’expression est un bien précieux, un marqueur de vivacité de la vie démocratique.
La démocratie se nourrit elle-même de la liberté d’expression. Mais force est de constater, que le débat autour de la volonté ou non du président Macky Sall à tenir son engagement de réduire le mandat présidentiel à 5 ans, a pris une tournure tout à fait excitante. En effet, journalistes, citoyens, juristes et hommes politiques de tout bord, se sont prononcés sur la décision du président, prise lors des vœux présidentiels à la nation, de solliciter, conformément à la Constitution, l’avis du Conseil constitutionnel.
L’article 51 de la Constitution, stipule : «Le président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au referendum.» Je m’étais interdit de ne point entrer dans ce «débat de juriste», ni d’apporter une contradiction au Professeur Ismaïla Madior Fall. En effet, le Professeur Ismaïla Madior Fall, sans doute victime de crampes mentales, déclara : «Le président de la République est obligé de suivre l’avis du Conseil constitutionnel quel qu’il soit…» Le tollé qui s’en est suivi, ainsi que les pertinentes réponses apportées çà et là par la quasi totalité de la communauté juridique, suffissent amplement.
La position et la posture du Professeur Ismaïla Madior Fall, devenu subitement un politicien masqué, m’ont d’autant plus convaincu dans ma décision. De plus, j’ai toujours, assimilé le Professeur Ismaïla Madior Fall comme un multirécidiviste notoire en la matière. Car il a l’art et la manière de sortir des débilités que même un étudiant de première année de Droit n’ose dire. Toujours est-il que, dans sa tentative d’enfumage, le Professeur attitré du régime, artisan de toutes les réformettes de nos institutions, dont la dernière et triste œuvre reste l’Acte 3 de la Décentralisation, venu ajouter des feuilles au «mille-feuille administratif» existant, signe mordicus que le président de la République «est obligé de suivre l’avis» consultatif du Conseil constitutionnel. Et pour étayer son propos, il enfonça le clou, en déclarant : «On n’est pas dans le cadre d’un organisme consultatif, mais plutôt dans le cadre d’une juridiction.»
Cet argumentaire du Professeur Ismaïla Madior Fall est totalement fallacieux et dénoué de tout fondement, pour la simple raison que le Conseil constitutionnel a deux fonctions : Une fonction juridictionnelle et une fonction consultative. En vertu de l’article 51 de la Constitution, «le président de la République, peut, après avoir recueilli l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum.» En l’espèce, l’article 51 de la Constitution précité ne nous parle pas de «décision», mais «d’avis». De ce fait, nous sommes indéniablement dans le cadre de la compétence consultative du Conseil constitutionnel et non dans sa fonction juridictionnelle, contrairement à ce que le Professeur Ismaïla Madior Fall voudrait nous faire croire. Et dans le cadre le cadre de la compétence consultative, les avis du Conseil constitutionnel ne lient en aucune manière le président de la République. En d’autres termes, aucune disposition de la Constitution n’impose au président de la République de suivre un avis consultatif du juge constitutionnel.
Je laisse ce débat qui semble être derrière nous, au risque de répéter ou de reprendre les différents juristes qui se sont inscrits en porte-à-faux avec la thèse avancée par le Professeur Ismaïla Madior Fall. Hier, à ma grande surprise, je tombe sur un article dans lequel, le Professeur Mounirou Sy emboîte le pas du Professeur Ismaïl Madior Fall, en déclarant une phrase surréaliste.
J’ai alors pris conscience que nous sommes en présence d’une entreprise de manipulation des masses. Une ombre d’enfumage savamment menée par des pseudos juristes dans le but d’inciter le président Macky Sall à rompre son engagement pris devant le peuple.
En tant que juriste, cette sortie m’a tellement touché dans ma chair, que je me suis décidé à lui apporter une réplique. Le Professeur, Mounirou Sy estime, je le cite : «Le président de la République est assujetti aux décisions du Conseil constitutionnel.» A la lumière de cette phrase, et de prime abord, mon attitude fut zen, puisqu’il ne nous enseigne rien, car les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent au président de la République et à tous. Au fil de l’article, le Professeur Mounirou Sy, en bon populiste, et s’inscrivant dans la même démarche que son compère Ismaïla Madior Fall, livre son opinion sur l’exaltante et épineuse question de la réduction du mandat présidentiel. Pour illustrer sa pensée, il déclare une chose qui m’a fait bondir : «… C’est tellement important que si en matière consultative, le Conseil rend une décision, ces décisions s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives. Le président de la République, étant un pouvoir public… est doublement assujetti aux décisions rendues par le Conseil constitutionnel.»
Effectivement, Professeur, le président de la République en tant que pouvoir public, est bel et bien soumis aux décisions du Conseil constitutionnel. C’est d’autant plus logique, que le Sénégal se définit comme un État de droit impliquant donc que les pouvoirs publics se soumettent à la Loi. C’est à la fois une garantie et un marqueur de l’État de droit. L’article, 92 de la Constitution prévoit : «Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.» Le Professeur Mounirou Sy a dû omettre – je ne peux penser que cela a été fait sciemment pour un éminent juriste – que l’article 92 de la Constitution vise les décisions, et plus concrètement la force juridique des décisions du Conseil constitutionnel. Bref, cet article met en exergue la force exécutoire, les effets et les conséquences juridiques des décisions du juge constitutionnel.
Sauf qu’en l’espèce, nous ne sommes pas dans le cadre de la compétence juridictionnelle du Conseil où ses décisions ont autorité absolue de la chose jugée, mais bien dans la compétence consultative. La répétition étant toujours pédagogique. De plus, si nous partons du postulat où le président de la République serait lié à la fois par les décisions et les avis du Conseil constitutionnel, hypothèse dont rêveraient à la fois le professeur Mounirou Sy, son compère Ismaïla Madior Fall et quelques arrivistes de la mouvance présidentielle, la réalité serait tout autre. Monsieur le Professeur, nous sommes en face d’une question purement politique et non juridique : Il s’agit ici de la légitimé même du Conseil constitutionnel.
Il existe deux limites à la légitimé du juge constitutionnel : la nature politique du juge constitutionnel et l’ampleur de son pouvoir d’appréciation. Pour le premier, c’est le président de la République qui nomme les cinq Sages. Cette nomination est une manière de légitimer les membres du Conseil constitutionnel, car le président de la République est élu au suffrage universel direct. Quant au pouvoir d’appréciation du juge constitutionnel, il est même consubstantiel à la fonction du Conseil constitutionnel. Cependant, on peut relativiser ce pouvoir d’appréciation, car le juge constitutionnel n’a jamais le dernier mot. La légitimé du Conseil constitutionnel est tiré du fait qu’il n’a pas le dernier mot, lorsqu’il censure une loi par exemple, il est toujours possible d’adopter la loi et surtout après révision de la Constitution. De même, qu’il est possible de renverser une jurisprudence du Conseil constitutionnel par le biais d’une révision constitutionnelle. En somme, ce qui fait obstacle au pouvoir du Conseil constitutionnel, c’est la Loi de révision.
Et si le Conseil constitutionnel, comme vous le préconisez, venait à imposer au président de la République son avis sur volonté ou pas de réduire son mandat, ce serait lui accorder le dernier mot. Or notre le juge constitutionnel n’a jamais le dernier mot. Ce qui justifie qu’il s’autolimite considérablement, contrairement, si on fait du droit comparé à la Cour suprême américaine qui, elle, use et abuse de son pouvoir d’appréciation. Cette autolimitation fait que le juge constitutionnel ne contrôle pas par exemple les lois référendaires, ni les lois constitutionnelles, parce qu’elles sont l’expression directe de la souveraineté nationale
En l’espèce, seul le président de la République, lui qui s’est engagé à réduire son mandat et le peuple souverain, en dernier ressort, ont le dernier mot. Et comme le déclarait si bien le Doyen Vedel, «si les juges ne gouvernent pas, c’est parce qu’à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté, comme constituant, peut dans une sorte de lit de justice, briser leurs armes.» Autrement dit, il n’y a de gouvernement des juges que si les juges exercent le pouvoir constituant. Or, comme vous le savez Monsieur le Professeur, il n’y a qu’une seule souveraineté, c’est celle du peuple conformément à l’article 3 de notre Constitution.
Monsieur le Professeur Mounirou Sy, vous avez le loisir de préférer la cour de Macky à vos cours de Droit, de même que vous pouvez avoir la latitude de faire du «Fekke ma ci boole», mais vous n’avez nullement le droit de travestir le Droit. Qu’Allah bénisse le Sénégal.
Jeannot KANE