Dans le chapitre 12 intitulé «Ethique et transhumance», le déshonneur des politiques, de son ouvrage Une démocratie prise en otage par ses élites, Abdou Latif Coulibaly terminait l’analyse qu’il faisait de cette question ainsi :
«Aujourd’hui, la transhumance apparaît, au contraire, comme le refuge d’hommes et de femmes qui font comme si la politique était incompatible avec les valeurs éthiques de la société. Ceux qui l’encouragent et l’acceptent ont la même conception de l’éthique et de la morale que ceux qui la pratiquent. Et c’est cela tout le problème de ce pays. Comme dans une terrible conspiration, ils détruisent ensemble l’image du politique et donnent un mauvais signal aux jeunes de ce pays en leur fournissant de terribles contre-exemples au moment où ils en ont le plus besoin, avec cette perte foudroyante de repères qui caractérisent le monde dans lequel ils vivent maintenant.»
En écrivant ces lignes, Monsieur Abdou Latif Coulibaly, éminent journaliste d’investigation à l’époque n’était pas encore politique. En le devenant aujourd’hui, ces paroles sont d’une profondeur déconcertante. A l’heure actuelle, ce virtuose de la communication, polémiste redoutable, demeure sans nul doute affecté par cette sortie scabreuse de son patron. Avec Djibo Kâ, Iba Der Thiam et Ousmane Ngom, cités naguère comme champions de la tortuosité, le journaliste Coulibaly ignorait un jour, que son patron, allait être aussi pitoyable. Le modèle de rupture tant vanté par le président de la République est ainsi dévoyé, totalement délaissé au profit d’une probable pêche aux voix. Le discours d’hier, plein de sagesse et de vertu, est sauvagement piétiné.
S’il vous plaît Monsieur Coulibaly, invitez le président de la République à revoir sa copie. Son discours est truffé d’incohérences, d’antilogiques et de tâtonnements. Au moment où il demande à l’opposition d’attendre les élections pour se mesurer, on le voit, lui, faire le tour des grands électeurs plus ou moins représentatifs pour se faire réélire. Ces entrefaites ne sont pas sans rappeler son prédécesseur qui avait misé ainsi mais sans résultat. Le peuple sénégalais semble très passif, souvent même amorphe mais se trompe rarement sur son choix.
S’il vous plaît, Monsieur Latif, recadrez votre patron. Il n’entend ni n’écoute les signaux que lui envoie le peuple. Il donne un pâle visage du Sénégal, il se trompe de peuple ou ignore volontairement ses capacités, ses forces. Combien de fois nous a-t-on enseigné les vertus comme la dignité, la fierté, la sincérité dans les rapports avec les gens et le bien commun. A ses yeux, il veut légaliser, cautionner, réglementer cette transhumance dont lui-même rejetait la pratique dans un passé encore récent. Parce qu’il affirme ces mots avec une totale imprudence. Oubliant que des personnes neutres, détachées de la politique et observateurs lucides, l’écoutent, écoutent son discours et l’analysent. Ainsi, il déclare : «…Nous ne les débauchons pas à coup de milliards, nous ne les débauchons pas parce que : vous venez, on vous nomme en vous donnant un poste ; pas du tout.»
Et plus loin, il ajoute de façon indélicate : «Et par tous les moyens que vous pouvez convaincre les gens, il faut le faire pour les amener. C’est cela l’action du président de la République.» Où est la morale dans tout cela ? Elle est totalement désapprouvée. Car, cher Président, vous dites aussitôt après : «Des Sénégalais qui font la morale, nous sommes tous pareils.» Oui, les guides religieux aussi, oh ! Monsieur le Président, attention !
En disant ces mots, il oublie les conseils de feu Kéba Mbaye dans sa leçon inaugurale sur «L’ethique, aujourd’hui» où le juge affirmait sans ambages ces propos : «Les hommes qui se sont enrichis en foulant au pied les règles d’éthique n’inspirent aucun respect aux autres Sénégalais.»
S’il vous plaît, Monsieur le grand journaliste et non moins célèbre ministre-conseiller, parlez au patron, dites-lui de faire attention à ce qu’il dit dans de pareilles occasions. Nous n’avons rien d’un politique mais nous analysons et nous sommes heurtés par les incongruités d’un tel discours. Même s’il faut reconnaître que le principe de communiquer est à saluer, sur bien des égards, le contenu dérange.
S’il vous plaît, Monsieur Coulibaly, pour terminer faites méditer ces propos au patron, qui sont même les vôtres car tirés de votre ouvrage : «Djibo Kâ, Iba Der Thiam, Ousmane Ngom ne sont pas les seuls en cause, mais ils sont assez symboliques de la déliquescence éthique et morale tantôt dénoncée. Ils demeurent les cas les plus saisissants, quand on tente de comprendre le phénomène en cause.»
Papa Serigne GUEYE
Professeur de lettres au lycée de Saly